C’était durant un de ces fameux repas de famille.
Ceux où tantes, oncles, cousines et cousins se réunissent après avoir traversé la moitié du pays.
Comme toujours les discussions y étaient animées. Les railleries et haussements de ton avaient un agréable goût d’amusement car on savait très bien que malgré nos désaccords récurrents jamais personne ne partait faché de ces débats familiaux.
L’éternel duel gens de ville / gens de la campagne finit par arriver en même temps que le dessert. J’étais prêt à en découdre avec mes puissants arguments de citadin convaincu quand, par surprise, un des cousins me balança une phrase que je n’avais pas anticipée :
“Le gros problème de la ville, c’est qu’elle t’empêche de devenir adulte”
“C’est n’importe quoi”, lançais-je automatiquement, mais ma voix mal assurée avait dû trahir mon trouble car je vis sur mon cousin se dessiner un large sourire.
J’essayais de trouver rapidement une réplique pour contrecarrer cette théorie, mais le souvenir de mon programme de la semaine vint clouer le bec de ma répartie. Au cours des dernières heures, j’avais participé à une soirée retro-gaming, résolu des énigmes dans un escape game, déambulé en tutu pendant une balade à rollers, mangé des frites à tous les repas et pogoté sur un concert de rock 8 bit.
Un oncle un peu ivre sauva mon manque d’éloquence en reversant une bouteille de vin sur la table. Tout le monde s’affaira à sauver ce qui pouvait l’être et la discussion repartit sur d’autres sujets.
Mais la pique de mon cousin me laissa un goût amer que même la petite poire de fin de repas ne parvint pas à dissiper.
Et si ce bougre (tout droit sorti de l’ennuyeuse campagne) avait raison ? Est-ce que la vie urbaine nous maintient dans une certaine adolescence tardive ? Est-ce que sa profusion de services, d’animations et d’opportunités de nous divertir nous empêche de prendre nos responsabilités.
La ville cette mère qui ne veut pas voir grandir ses enfants…
Etre adulte, c’est savoir prévoir. Mais pourquoi prévoir quand Maman-Ville s’occupe de tout. On est dimanche soir et ton frigo est vide ? Pas de problème, 20 minutes après tu as des sushis tous frais livrés sur ta table (ou plutôt sur tes genoux, dans ton canap, devant une série). Tu n’arrives pas anticiper ? Pas de panique ! Tout est ouvert tout le temps, de la supérette en bas de chez toi aux centres-commerciaux, en passant par les cinémas…
Etre adulte, c’est accepter de vieillir. Mais pourquoi vieillir quand Maman-Ville t’emmène tous les jours dans un parc d’attraction urbain dédié à ta jeunesse. Entre les soirées retro-gaming, les concerts des vieilles gloires de ton adolescence et les escape games, la ville n’est qu’un immense terrain de jeux fait pour s’amuser, encore et encore.
Etre adulte, c’est s’être trouvé en tant que personne. Mais la maman-ville veille à ce qu’on ne grandisse jamais en nous maintenant dans une bulle confortable où toutes nos envies d’ado capricieux (mais vieux) peuvent-être assouvies et où le moindre souci semble pouvoir être réglé avec la dernière appli mobile du moment.
Pour reprendre une célèbre formule, la Ville nous donne du poisson là où la campagne nous apprend à pêcher.
Si Maman-Ville refuse de nous apprendre à pêcher c’est parce qu’elle a très peur qu’on finisse par aller planter nos cannes chez Maman-Campagne…
La campagne cette mère qui veut rendre ses enfants autonomes
Déménager à la campagne serait-il un signe de maturité ? En bon urbain, je refuse de m’y résoudre. Ne plus prendre le métro serait comme me confisquer mon train électrique quand j’étais môme et ne plus être livré en burgers et sushis ou autres tacos aussi rude que d’être privé de dessert…
Vivre à la campagne ce serait apprendre à s’organiser, à s’occuper de sa maison (voire des autres), subir la nature (bon ok en profiter un peu aussi…). Tout ce que la ville m’a permis d’éviter jusque là.
Alors en bon urbain bobo qui s’assume (presque) totalement, je vais continuer à aborder la campagne selon le triptyque consacré : loc Airbnb, cuisine de produits achetés directement à la ferme et balades dans la nature à moins de 30 minutes de la base opérationnelle du week-end. Tout en étant soulagé de rentrer le dimanche pour se faire dorloter par Maman-Ville à coups de livraison Deliveroo et de réseaux wifi digne de ce nom.
Chers lecteurs j’en appelle à votre clairvoyance, sentez-vous aussi l’oppressant confort que nous offre la ville ? Pensez vous que la voie de la maturité est dans le pré ?
Je vous laisse à vos réflexions, je dois retrouver des potes au Lego Store.
6 commentaires
Réflexion très intéressante, je n’avais jamais vu les choses sous cet angle ! je ne connaissais pas non plus l’analogie du poisson et de la pêche… Tout ceci est bien vrai, le problème est que personne n’a plus envie de devenir vraiment adulte, si ?
C’est ça, vieillir, ça craint ! 🙂
La campagne ne rend pas autonome ! Si dépendre de la voiture pour tout, c’est être autonome, alors il faut revoir la définition de l’autonomie 😉
Être adulte et continuer à s’amuser, c’est ça le luxe !
Mais bon, tu connais ma position sur le sujet 😉
Oui mais passer son permis et savoir changer une roue révèlent plus de l’adulte que traverser la ville en long board 😉
Mais je te rassure, je suis très bien chez Maman-Ville et ne compte pas couper le cordon ombilical de si tôt.
Qu’est-ce qu’être adulte? Qu’est-ce qu’être enfant? Vous avez 2 heures.
J’ai grandi à la campagne et je suis venu en ville pour mes études (chemin classique) et j’ai un point de vue assez opposé.
L’argument de Qyrool de changer une roue contre faire du long-board est juste. Mais a-t’on vraiment besoin de savoir changer une roue pour être un adulte ? J’ai le permis (campagne oblige), mais je ne possède plus de voiture et n’en conduis presque jamais. Je me déplace uniquement en transports en commun. J’aurais donc plus besoin de savoir aiguiller un train ou changer une roue de bus (qui sait faire ça ici ? ^^). A la campagne, les jeunes ont des enfants plus tôt. Ils sont parents plus jeunes, mais est-on forcément adulte en devenant parent ? Je connais de nombreux contre-exemples.
Par contre, de nombreux “campagnards” voyagent peu, rencontrent peu de gens et ont donc peu d’expériences variées. Selon moi, ces gens à œillères, même s’ils ont un CDI, une maison, une voiture (dont ils savent changer les roues) et des enfants, ne se comportent pas plus comme des adultes que moi car ils font des choix de vie peu éclairés, ont souvent un manque de conscience globale et une fermeture d’esprit attristante.
Précisons que je parle ici de gens de ma génération, que j’ai vu grandir et qui m’ont vu grandir. D’ailleurs, je n’omets pas que l’inverse existe aussi (les citadins ne sont pas tous des exemples d’ouverture d’esprit, loin de là).
En fait, c’est surtout les critères qu’on choisit pour définir ce qu’est un adulte qui vont forger notre avis sur la question. Enfin, je pense 🙂