Il est sympa mon boulanger…
En fait non, il est juste commerçant. Mais il y a des commerçants désagréables. Lui pas. Offrant systématiquement une chouquette à ma fille, pas chiant quand il me manque 10 centimes. C’est limite s’il ne connait pas mon prénom. « Et 5 qui font 10. Et une bonne journée. ».
Cécile, la patronne du bar d’à-côté le connait, elle, mon prénom. Alors qu’après minuit, j’oublie souvent le sien. « Céline tu m’en remets un dernier ? Oh ça va ! Cécile, Céline, bref, mets moi une pinte ! ».
Un mot sur mon concierge jamais avare d’un commentaire bien senti sur l’actualité du jour, météorologique ou footballistique la plupart du temps, et sur le fleuriste du coin qui s’adresse à moi à la troisième personne. « Il trouvait ça rigolo au début, mais là, ça commence à le saouler ».
Cet « esprit village » qui me séduisait tant, qui me sécurisait lorsque je venais de débarquer dans cette ville, cet « esprit village » commence à me faire chier. Tout le monde connait tout le monde et c’est bien le problème. Si j’ai quitté mon bled à lotissements périurbains et ses batailles de haies mitoyennes sur fond de commérages, ce n’est pas pour étouffer à nouveau sous le poids des visages familiers et de leurs conversations phatiques.
Pourquoi nager dans ce petit bocal ? Après 2 mois, 3 ans ou 10 ans, tu sens aussi cette envie de changer l’eau. Et d’ailleurs pourquoi pas changer carrément de bocal. Tu t’en fous, tu n’as pas envie de devenir le septuagénaire, figure du quartier, tu t’en fous qu’on t’appelle Monsieur.
Et, à bien y réfléchir, c’est pas plus mal d’être un inconnu dans un bar d’habitués…
Ami urbain, et si le temps était venu pour toi d’explorer d’autres quartiers ? Tu verras, quand tu reviendras dans 6 mois faire un tour sur ton ancienne base, tu réapprendras à apprécier cette atmosphère qui te parait aujourd‘hui viciée.
Voici donc les 10 signes qui vous montrent qu’il est temps de changer de quartier ?
1- D’avril à juin, tu te dis le jeudi soir que ce serait bien de te barrer deux ou trois jours sur un long week-end, pour prendre l’air. Alors oui t’as vieilli, t’as un peu plus de thune qu’avant pour te le permettre mais pourquoi cette envie permanente de prendre l’air. Peut-être est-il tout simplement temps d’en changer définitivement.
2- Tu as du mal à t’endormir le lundi soir parce que tu sais que les éboueurs te réveillent chaque mardi à 5h50. Et après tu ne te rendors jamais alors ça t’énerve et ça t’énerve de t’énerver comme ça, pour une connerie.
3- « On a qu’à aller au parc. » LA phrase de la résignation dominicale que tu prononces de plus en plus souvent. Parce que t’es sec, t’as plus d’imagination. Tu dois te renouveler.
4- « On a qu’à aller au troquet d’en bas. » LA phrase de la résignation vespérale que tu prononces de plus en plus souvent. Parce que t’es sec, t’as plus d’imagination. Tu dois te renouveler.
5- Le bo bun, t’as découvert ça au Thaï’ du coin, en arrivant sur zone il y a 5 ans. Tu faisais même ton malin en amenant tes amis amateurs de steak-frites pour qu’ils ouvrent leurs chakras aux milles saveurs de l’Asie. Mais là, t’en peux plus. Tu rêves de restos de sous-préfecture, avec nappe Vichy, blanquette de veau, bavette sauce au poivre et poule-au-pot. C’est un signe mon ami. Change de quartier, mais par pitié, ne vas pas vivre dans une sous-préfecture !
6- Tu n’as toujours pas accepté l’idée que ton supermarché Champion soit devenu Carrefour market.
7- Quand tu prévois une soirée avec des potes, à l’heure de trancher la question du lieu, ta réponse fuse : « Ce serait plus sympa de faire ça vers chez vous ».
8- Tu te sens prisonnier de tes voisins. C’était sympa au début : un échange de tournevis contre un coup de main pour monter ton canapé. Ensuite vous vous êtes sentis obligés de créer du lien. Un apéro, puis un diner. Mais dans le fond, tu n’as pas grand-chose à leur dire, et désormais t’es super gêné lorsque tu les croises dans l’ascenseur et qu’ils insistent pour t’inviter un soir prochain. Ils habitent sur le même palier, ça devient oppressant. Une seule solution : la fuite. Ils pourront même t’aider une dernière fois pour le déménagement, avant que tu ne les recroises plus jamais. Grand seigneur, tu leur crieras depuis le volant de ton camion de déménagement déjà sur le départ : « Faudra que vous passiez, il y a à peine deux heures de route, ça se fait bien ». Je te rassure, ils ne passeront pas.
9- Quand tu te poses cinq minutes à la fenêtre avec une bière à la main ou pas, avec une cigarette à la bouche ou pas, pour contempler le paysage, tu ne te dis plus jamais « on est quand même pas mal ici ».
10- Ta mamie est morte et tu viens d’hériter de sa maison.
Illustrations par Eglantine Ceulemans